Opinion. Système éducatif : Lettre aux associations culturelles des jeunes de Moroni

Le 12 avril dernier, l’association des jeunes du quartier de Hadudja a organisé une conférence au foyer Aouladil Comores. Le thème soumis aux intervenants est ainsi formulé « Pourquoi la rétrogradation de notre système éducatif malgré les multiples efforts de décideurs ? » Pour obtenir une réponse à cette question, les jeunes de Hadudja ont fait appel à Ali Ben Ali, un pédagogue du ministère de l’Éducation nationale et à moi-même.

Le lendemain, une organisation des jeunes du quartier de Magudju, Bundo, a convié le public au foyer de l’association Bargum pour visiter une exposition de photos sur des sites naturels, historiques et culturels des Comores et écouter les commentaires du réalisateur, le doyen Ouledi Ahmed.

L’ébahissement des étudiants de l’université qui découvraient pour la première fois ce riche patrimoine répondait beaucoup mieux aux interrogations sur l’échec du système éducatif que nos discours de la veille au foyer Aouladil Comores. Un pays, qui exclut des programmes de formation de sa jeunesse, sa langue, son histoire, son système social, son patrimoine naturel, et toute initiation au travail productif, met en cause son existence même en tant que communauté nationale.

Si les nouvelles générations perçoivent une dégradation de l’enseignement, c’est qu’elles considèrent que celui que leurs parents ou grands-parents ont reçu a été meilleur. Avant 1950, l’enseignement de “‘École française pour les enfants indigènes“ durait quatre années pour le premier degré, trois années pour le second degré dans les Écoles régionales de Madagascar.

Les titulaires du Certificat d’Études du Second Degré ou Cesd accédaient à une des sections de l’École “Le Myre de Vilers“ de Tananarive pour une formation professionnelle de trois années : section normale des instituteurs, section de formation administrative et financière, section d’enseignement agricole et industriel et la section médicale qui, cette dernière, préparait à l’école de médecine.

Chacun des trois cycles visait des objectifs économiques et l’insertion dans la vie professionnelle. Les meilleurs élèves les parcouraient en dix ans. Cet enseignement ne créait pas une rupture avec l’éducation reçue dans le payalashio (école coranique) et le payalamdji (siège de l’institution des grades d’âge).

L’école puisait dans l’environnement les ressources nécessaires à son enseignement. Son programme était orienté vers l’étude du milieu et réservait une place importante au travail manuel : l’agriculture, l’artisanat du bois et du fer.

Dès la fin des études du premier degré, les apprenants possédaient des connaissances scientifiques sur le milieu naturel, des nouvelles techniques qui amélioraient la productivité du travail et un vocabulaire français qui correspondait aux besoins des employeurs pour le fonctionnement des services publics et l’encadrement des personnels autochtones des entreprises coloniales.

Les déficiences en compréhension et expression écrite en français s’amoindrissaient au cours des carrières au contact des chefs majoritairement européens. Toutefois, les enfants étaient inscrits à l’école à l’âge de dix ans, souvent au-delà. Ils avaient déjà acquis dans le payalashio et le payalamdji des connaissances précises sur leur environnement physique et social. Ils connaissaient les plantes cultivées et leurs besoins pour croitre et produire.

Le calendrier observé à l’école coranique, au champ et à la mer était celui de l’année solaire dite naïruzi du cycle de sept ans. Les enfants connaissaient la répartition dans l’année des chutes des pluies, le régime des vents, les périodes des travaux de champs, de rareté et d’abondance des différents produits de la campagne et de la mer.

Ces premiers apprentissages faits à travers l’outil linguistique maternel créaient les meilleures conditions pour un “décollage“ intellectuel dès le début de la scolarité en fournissant à l’enfant la possibilité de verbaliser sa pensée.

La traduction en Comorien par le maître des manuels d’éducation religieuse en langue arabe permettait à l’élève d’apprendre l’utilisation d’un lexique comorien précis des mots qui expriment les expériences vécues et les sentiments ressentis, et une syntaxe complexe, mais adaptée au cheminement de son raisonnement.

Les psychologues nous ont appris que ce qui est bon pour la promotion de la langue maternelle est bon également pour la promotion d’une langue seconde ou étrangère. A la fin de la guerre, la IV République octroie la citoyenneté française à tous les sujets de l’empire colonial.

A partir de 1950, une nouvelle école remplace l’ancienne. Les programmes, les méthodes, les horaires sont désormais, ceux qui, en France s’inscrivaient dans le cadre d’une scolarité obligatoire, à l’époque de dix années, en langue maternelle, et dans la culture d’une société industrielle, de tradition chrétienne.

Cette école coupe l’enfant de son milieu, tue l’esprit créatif, avilit et méprise la condition paysanne et celle de tout travailleur manuel. Elle ne poursuit qu’un seul objectif : préparer l’élève à l’enseignement secondaire qui représente, encore aujourd’hui, l’espoir illusoire d’obtenir un emploi de bureau.

En 1974, un expert de l’Unicef, Claude Chicot1 soulignait dans son rapport : “Le système éducatif comorien qui n’est qu’une copie imparfaite du système français est complètement inadapté aux réalités locales et à ses finalités. L’école doit s’intégrer dans son milieu, et contribuer à l’adaptation active de l’enfant à son environnement humain et matériel…”.

L’école comorienne d’aujourd’hui s’emploie à refouler chez l’enfant le parler maternel et à le couper de son milieu culturel. Selon le ministère de l’Éducation nationale, sur une cohorte de mille enfants entrant au Cp1, cinq cent treize arrivent au Cm2, trois cent soixante arrivent en 6e, cent cinquante et un parviennent en 2e, cent treize arrivent en terminale et quarante quatre obtiennent le baccalauréat. Soit environ 4 % du chiffre de départ.

Ces quarante quatre bacheliers après treize années passées à l’école sont incapables d’exercer un métier qu’il soit manuel ou bureaucratique. Ils ne sont pas plus armés pour affronter le marché de l’emploi que les neuf cent cinquante six camarades que le système a perdus en route.

Depuis soixante ans, l’enseignement de l’école laïque, rejoint quelques années plus tard par celui l’école coranique, érode notre socle culturel, fruit d’une expérience collective millénaire et d’un milieu naturel exceptionnel qui lui fournit l’assise matérielle dont il tire son originalité.

Les causes de la dégradation continue de nos systèmes éducatifs, laïque et islamique, ne sont ni financières ni pédagogiques. Elles sont sociologiques. Imitant l’école publique, le payalashio a abandonné ses fonctions sociales. Il ne transmet plus les techniques, les modèles, les valeurs et les symboles légués par l’histoire. Il se consacre exclusivement à l’enseignement du dogme de l’Islam. Elles sont idéologiques.

Nos décideurs francophones et arabophones ont une grande propension pour les solutions d’imitation. Fascinés par les modèles sociaux étrangers, ils situent toujours leurs références et leurs espérances hors de notre substrat culturel et de nos réalités.

Damir Ben Ali

Source: Alwatwan

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